L'Aller-Retour
La double traversée des Pyrénées en autonomie
Septembre et Octobre 2020
En partenariat avec l'école publique d'Olhette
Une odyssée de 2000 kilomètres à travers les Pyrénées Françaises et Espagnoles.
Une blessure, un ami imaginaire, des montagnes, un voyage.
L'histoire simple de mots et d'images qui s'entremêlent de balise en balise...
Chapitre 1 : "Le grand départ"
Étape 1 : "La rentrée des classes"
Départ : École d'Olhette - Arrivée : Mont Artzamendi
Distance : 39,34km - Dénivelé : +1818m/-1288m
"Une rentrée de plus... Ou de moins diront certains...
Il existe une école où les cartables sont sacs et les crayons sont bâtons. On y écrit à la force de ses pas des traces éphémères sur les lignes sinueuses d'un cahier infini.
Non mais quel poète ce Bibote ! Et attendez ce n'est pas fini...
La leçon du jour : le confort a un poids. Le poids d'un boulet de tissu accroché à vos épaules. Qu'il aurait été moins lourd si j'étais resté à l'école !"
Étape 2 : "Les dents de la Terre"
Départ : Mont Artzamendi - Arrivée : Saint-Étienne-de-Baïgorry
Distance : 30,32km - Dénivelé : +1736m/-2127m
"Entrecoupée par le ballet incessant de pottoks somnambules, la première nuit sous les étoiles de Bibote fut... "agitée". Un sommeil léger mais un sac toujours aussi lourd...
Première difficulté de la journée : les crêtes de l'Iparla. Ce sommet je le connais par cœur : moustache dans le guidon, et même avec mon sac, je réussirai forcément à le grimper en un peu plus d'une heure...
Mais c'était sans compter la chaleur de cette fin de matinée qui transforma ces crêtes en une mâchoire aiguisée... Une mâchoire gourmande de mes cuisses, qui les croqua tout net, transformant mon ascension en un petit supplice. Saint-Jean-Pied-de-Port attendra : escale à Baïgorry.
La conclusion de cette punition : l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et marchent lentement."
Étape 3 : "Un camping et une pizza"
Départ : Saint-Étienne-de-Baïgorry - Arrivée : Col d'Irau
Distance : 45,42km - Dénivelé : +2558m/-1705m
"Pour sa deuxième nuit à la belle étoile, Bibote a choisi un camping qui en comptait deux.
Comment ça ??? Un camp d'individus nomades et grégaires prêts à payer pour s'entasser autour de sanitaires ??? Je me croyais plus sauvage et sophistiqué ! Bref, appelons ça "hôtellerie de plein air" : c'est assez poétique et beaucoup moins... "populaire".
Et puisque nous sommes dans l'hôtellerie, parlons restauration.
La mâchoire de guerre a été enterrée ce midi entre Bibote et les crêtes de l'Iparla. Après sa piteuse prestation de la veille, qui lui était restée en travers de la gorge, il a avalé tout cru la très goûtue pizza "Iparla" (tomate, épaule, txisto, champignon et fromage) du "Café de la Paix" de Saint-Jean-Pied-de-Port. Il fallait l'inventer...
Un camping et une pizza : tout ça ne fait pas très aventurier Monsieur Bibote...
Mais ne vous en faites pas : cette petite halte culinaire à Saint-Jean-Pied-de-Port m'a fait prendre un joli rythme de croisière."
Chapitre 2 : "Canicule et brouillard"
Étape 4 : "La fournaise Souletine"
Départ : Col d'Irau - Arrivée : Larrau
Distance : 33,60km - Dénivelé : +1556m/-1919m
"Battu par un vent à décorner les pâtureuses à mamelles lors d'une nuit d'un autre âge près des cromlechs de l'Okabe, Bibote s'est levé ce matin en sachant qu'il allait devoir affronter son pire ennemi. Cet ennemi n'a pas de corps, pas de visage, et transforme le réel en mirage... Cette satanée chaleur ! Celle qui dilate les matières, les distances et le temps. Je la déteste !
Et aujourd'hui il a fait très (trop) chaud... J'ai donc passé ma journée à déambuler comme une ombre en peine, enviant les pierres et les brins d'herbes que ma sombre silhouette rafraîchissait au fil de ma lente avancée...
Ma traversée du désert se termine à l'oasis de Larrau. J'aurais pu continuer ma route, mais parfois il faut savoir faire preuve de sang froid et ne pas jouer avec le feu : il a déjà fait assez chaud comme ça !"
Étape 5 : "Adishtaz le Pays Basque"
Départ : Larrau - Arrivée : Col de la Pierre Saint-Martin
Distance : 40,04km - Dénivelé : +2521m/-1442m
"Un maillot de verdure face à un océan docile.
Des enfants jouant de murs avec leurs mains habiles.
J'aimerais te comprendre mais ta langue est trop dure.
Car tu n'es pas à vendre et...
Non mais Bibote tu te remets à écrire des poèmes ??? Et sur le Pays Basque en plus ??? Pfff...
On n'est pas venu ici pour enfiler des pieds dans des vers alors mets de suite les tiens dans tes chaussures !
Et oui, aujourd'hui on quitte le Pays Basque et les choses sérieuses commencent ! La montagne. La vraie. Qui fait durcir les cuisses et gonfler les mollets.
Mais si je continue à ce rythme d'enfer, je crois que c'est surtout mon ventre qui risque de gonfler. Pour avancer il faut de l'essence, et je ne pense plus qu'à... manger !
Je suis d'ailleurs persuadé que mes explorations bi-quotidiennes très poussées des restaurants Pyrénéens ont du bon : ma future surcharge pondérale équilibrera la dorsale et mon centre de gravité sera enfin à l'aplomb de mes chevilles.
Je viens de terminer mon repas du soir au refuge de la Pierre Saint-Martin mais j'aperçois une tablette de chocolat endormie dans ma tente qui a défait son emballage... Elle m'aguiche avec ses amandes qui pointent !
Il est l'heure de vous quitter !"
Étape 6 : "Le cirque invisible"
Départ : Col de la Pierre Saint Martin - Arrivée : Etsaut
Distance : 34,25km - Dénivelé : +1457m/-2470m
"On m'avait promis l'exceptionnel aujourd'hui : le cirque de Lescun. Mais de ce cirque je n'ai pû voir qu'un épais chapiteau de brume...
Comme le sentait mon nez rougi par le froid, la montagne minérale et encaissée de la vallée d'Aspe est indomptable. Mes bâtons sont donc venus prudemment butiner ses bouquets de roches. Des fleurs aux pétales acérées, rendues très glissantes par la rosée du matin, qui ralentissaient considérablement mon avancée. Une avancée "acrobatique" et sans filet, au milieu d'un brouillard que même un lanceur de couteaux n'aurait pu découper.
Cette désillusion d'optique me laisse un goût amer... Mais au moins elle répondra à la sempiternelle question :
Pourquoi faire le GR10 deux fois?
Pourquoi ??? Pour réussir à voir le cirque de Lescun. Évidemment..."
Chapitre 3 : "2000 mètres plus haut"
Étape 7 : "Le septième ciel"
Départ : Etsaut - Arrivée : Pont du Goua
Distance : 34,81km - Dénivelé : +2156m/-1753m
"Il y a des jours où tout paraît trop facile. Et en ce septième depuis mon départ j'avais décidé de "faire tranquille".
La première grande ascension de mon aventure (le col d'Ayous et ses 2185 mètres d'altitude) a été le théâtre du nouveau coup de folie de Bibote... Son taux d'altimétrie s'élevant très nettement au fil de son avancée, il a littéralement explosé les compteurs de vitesse ! Son délire endorphinique l'a conduit à dévorer le dénivelé et un à un tous les randonneurs (médusés...) qu'il a successivement avalés.
Bien Monsieur Bibote... Continue comme ça... Tu iras loin en te laissant aller à de tels excès...
Mais que voulez-vous, quand la forme et le plaisir sont là. Lorsque tout paraît léger et que vos jambes se transforment en ailes. Pourquoi se retenir de toucher le septième ciel ?
Après cette jolie nuit qui s'annonce au pont de Goua, on verra bien demain si mes genoux et mes cuisses ont la gueule de bois.
Ah j'oubliais... Ma gourde, bien que tournant à l'eau claire, s'est elle aussi sentie pousser des ailes (ou peut-être en a-t-elle marre de mes envolées lyriques ?) : cette coquine s'est évadée de mon sac ! J'ai bien tenté de faire demi-tour pour la ramener à la raison mais impossible de la retrouver. Le divorce est consommé... Ma consommation d'eau devra donc être un peu rationnée d'ici l'arrivée d'une nouvelle prétendante. Heureusement qu'il me reste la bouteille d'une célèbre boisson américaine dans le sac. Pas l'idéal pour se brosser les dents mais ça fera largement l'affaire jusqu'à mon atterrissage à Arrens-Marsous !
Quelle aventure !"
Étape 8 : "Souvenirs d'enfance"
Départ : Pont du Goua - Arrivée : Arrens-Marsous
Distance : 36,24km - Dénivelé : +2399m/-2533m
"Cette nouvelle journée a commencé, une fois n'est pas coutume, la nuit. Une nuit en pleine forêt durant laquelle des visiteurs poilus avaient l'air particulièrement intéressés par le gros champignon de toile me servant d'abri d'infortune. Des renards ? Des sangliers ? Des blaireaux ? Je ne sais pas trop... En tout cas, largement de quoi inquiéter le moustachu que je suis. Mais j'ai réfléchi et je me suis repris :
"Bibote, si aucun ours ne se balade dans les parages, c'est bien nous qui sommes positionnés en haut de la chaîne alimentaire de cette forêt ! Notre tente est un château imprenable, notre duvet une armure incassable, et nos bâtons des épées implacables !!! Que trépasse si on faiblit !!!"
Les visiteurs se sont ainsi enfuis et je me suis enfin endormi.
Un sommeil de courte durée et un réveil aux aurores pour assister, le corps encore engourdi par la gelée matinale, à un lever du jour exceptionnel sur les contreforts du col de la Hourquette d'Arre : une élégante bataille clair-obscur perdue d'avance pour des ombres minérales débordées de toutes parts par un soleil tout-puissant s'arrachant peu à peu de la montagne.
Et que dire du minuscule lac d'Anglas ? Là où tout a commencé pour Bibote. Son étrange passion pour la montagne est née aux abords de cette flaque cristalline hantée par les vestiges des anciennes exploitations minières de la vallée d'Ossau. Ici aussi un combat avait eu lieu : entre la roche et les hommes. Mais, pour une fois, nous l'avions perdu et c'est tant mieux !
Maintenant, passons à la chose vraiment (très) importante de la journée... Ce qui devait arriver arriva : la blessure. Et pas n'importe laquelle : une brûlure de la langue en se jetant à bouche perdue sur une garbure bouillante lors d'un ravitaillement hautement "énergétique" proposé par une bonne table Gourettoise.
Mais, vous l'aurez compris, Bibote est un chevalier et il va serrer les dents ! Sans se mordre la langue évidemment..."
Étape 9 : "La forge"
Départ : Arrens-Marsous - Arrivée : Cauterets
Distance : 34,76km - Dénivelé : +1761m/-1729m
"Aujourd'hui Madame Montagne ne s'est pas drapée de ses plus belles couleurs. Pas de quoi se rincer l'œil peut-être, mais elle trouve toujours un petit quelque chose pour faire votre bonheur.
La surprise du jour se nomme... "le col d'Ilhéou". Une ascension à vous faire crever les poumons que les spécialistes apprécieront. Mais ces mêmes spécialistes vous diraient sûrement que "quand on monte, à un moment on descend". Et c'est en général là que les choses sérieuses commencent...
Entraîné par la gravité de sa masse, tout grimpeur basculant dans le côté obscur de la pente connaîtra cette sensation : quand le marteau de son poids vient s'écraser contre l'enclume de la dénivellation négative. Pour frapper quoi ? Vos jambes. Vos articulations qui crient et vos muscles qui hurlent. À chaque foulée, ce marteau heurte violemment vos deux lames réchauffées par le four de l'effort. Elles ont pour nom "membres inférieurs" ? Alors elles connaîtront la douleur. Sauf si...
Sauf si après des journées à les forger, vous les plongez dans l'eau pour qu'elles se régénèrent et deviennent dures comme l'acier. Car qui dit "forge", dit "trempe".
Me voilà donc arrivé à Cauterets pour une journée de repos bien méritée. Avec la petite trempette thermale qui s'annonce, mes gambettes, rouées de coups par les marteaux ascensionnels de ces premières étapes, seront enfin prêtes à en découdre avec les descentes escarpées de la suite de cette traversée !"
Chapitre 4 : "Sous le soleil"
Étape 10 : "L'opération Sanglier"
Départ : Cauterets - Arrivée : Refuge des Holles
Distance : 49,39km - Dénivelé : +2913m/-2356m
"Ce matin Bibote s'est réveillé avec les paupières plus lourdes que son sac alors qu'il avait passé la journée de la veille à buller. C'est à n'y rien comprendre...
Et Monsieur Bibote, très fâââtigué de sa fameuse "journée de repos bien méritée", n'a rien trouvé de mieux à faire que de se tromper de chemin...
Quand Monsieur Bibote se perd (c'est un récidiviste), il lui arrive en cas d'extrême urgence de déclencher... "L'OPÉRATION SANGLIER" !!!
Ce dispositif hautement sophistiqué consiste à prendre la route la plus courte entre sa position réelle et la trace GPS indiquée par sa montre "technologique". Lorsque Bibote se transforme en sanglier, rien ne l'arrête : il fait fi des branches, des ronces, des orties, des pierres, des voitures (attention à vos pare-chocs !)... Après quelques kilomètres à traverser la dense jungle Pyrénéenne (au péril de sa peau et de son textile), ce vaillant cochon sauvage s'est retrouvé juste à côté de la trace GPS qui lui permettrait de regagner le chemin du GR10. Cependant, le principe fondamental de la montagne réside dans le fait qu'elle n'est pas tout à fait plate... Le chemin se trouvait donc 250 mètres en contrebas... Mais un sanglier ne recule jamais ! Ni une ni deux, le voilà dévalant la pente sur les fesses au milieu d'une avalanche de feuilles mortes, de pierres et de branchages.
Bilan de "l'Opération Sanglier" : un short troué, un petit doigt retourné, de jolies égratignures aux mollets, mais le droit chemin retrouvé ! Quelle réussite !
Et pour boucler la boucle (un petit détour matinal d'une dizaine de kilomètres quand-même...), Monsieur Bibote a décidé d'entamer un très bon saucisson aux noisettes qui trainait dans son sac. Il n'en perd jamais une pour rigoler ce moustachu !
Sinon ? Pas grand chose... Juste la plus belle étape du GR10 avec son point culminant : la Hourquette d'Ossoue (2735 mètres d'altitude) au pied du légendaire Mont Vignemale.
Mais tout ça n'est rien à côté d'une "Opération Sanglier" couronnée de succès !"
Étape 11 : "Croisade en Pays Toy"
Départ : Refuges des Holles - Arrivée : Barèges
Distance : 39,78km - Dénivelé : +1674m/-2021m
"En quittant le cirque de Gavarnie au petit matin, je me voyais déjà traverser le Pays Toy comme un soldat conquérant.
L'objectif de cette journée était très simple : rejoindre Barèges au plus vite afin de me reposer un peu. Car le menu qui m'était annoncé demain était pour le moins "copieux". Mais n'est pas un fougueux destrier qui veut... Une fois de plus, la chaleur du jour m'a joué un bien vilain tour.
Petit et petit, degré après degré, ma croisade s'est transformée en véritable chemin de croix. Jusqu'à ce que... la Terre Sainte se présente devant moi ! Barèges ? Non... Cette citadelle, que je commençais à croire imprenable, était encore loin. Mais alors quoi ??? La crêperie de la ferme Saint Justin bien sûr ! Voilà enfin de quoi me requinquer !
Sur cette petite table ronde, mon Graal était à portée de bouche : une crêpe au sucre, une célèbre potion magique d'outre-atlantique et un Perrier-tranche. De quoi redonner le moral à n'importe quel soldat ! Et surtout le reste...
Ragaillardi par un taux de glycémie de retour à la normale, je pus continuer ma route et dresser mon camp sur les pentes du Tourmalet. Ça y'est ! Le siège de Barèges était terminé !
Conclusion de cette Histoire : j'ai voulu jouer avec le Pays Toy mais j'ai perdu. Avec ou sans crêpe, je prendrai ma revanche demain dans le col de Madaméte !
Et ça tombe bien, il fera encore plus chaud..."
Étape 12 : "Le tour du Néouvielle"
Départ : Barèges - Arrivée : Bourisp
Distance : 41,81km - Dénivelé : +2072m/-2449m
"Quand vous vous élancez de bon matin au pied du mythique col du Tourmalet, un petit vélo se met forcément à vous pédaler dans la tête toute la journée...
Alors puisque que c'est comme ça (et même si j'ai eu ma piqûre de rappel hypoglycémique hier après-midi...), j'attaque !!!
Évidemment, je me détache très facilement d'un peloton dont je suis le seul coureur. Mais à mesure que le soleil pointe le bout de son nez, je sens que quelqu'un me rejoint dans ma folle échappée. Et ce "quelqu'un" n'est autre que... mon ombre.
Impossible de m'en défaire ! Toute la journée elle me collera aux basques. Pendant la longue ascension du col de Madaméte, en longeant les lacs du Néouvielle, et durant l'interminable descente du col de Portet.
J'ai déjà connu meilleure compagne d'échappée... Je me fais tout le boulot ! Mademoiselle se contente de me suivre sans jamais prendre un relais ni même me tendre un bidon d'eau. Il est hors de question qu'elle me vole la victoire d'étape en me coiffant au poteau à Bourisp !
Il va donc falloir que je sois très malin... Car d'après mes savants calculs d'optique, avec le soleil dans mon dos en cette fin d'après-midi, elle franchira forcément la ligne d'arrivée avant ma moustache.
À moins que... Non ! J'ai trouvé !!! Je décide de longer les murs de Bourisp et instantanément mon ombre disparaît !
Ça y'est ! Je franchis la ligne d'arrivée en solitaire ! Je peux enfin enlever ce satané maillot à poids du meilleur porteur. Demain, je serai tout de jaune vêtu et mon ombre restera noire. Mais vu la météo qui se profile, elle n'a sûrement pas dit son dernier mot..."
Chapitre 5 : "Fini la bamboche"
Étape 13 : "Le paradis"
Départ : Bourisp - Arrivée : Col d'Espingo
Distance : 34,95km - Dénivelé : +2925m/-1908m
"Ascension du Couret d'Esquierry, il est midi. Le soleil est à son zénith, mon sac toujours aussi lourd, le pourcentage de la pente fait concurrence au thermomètre. Ce cocktail pesant de verticalité et de chaleur rend la montagne brûlante.
Mes jambes sont les mèches d'une bombe humaine. Je me cramponne à mes bâtons devenus de fines allumettes de carbone. Sans eux, je ne suis plus rien. Mais s'ils glissent, la flamme s'allume et j'explose. Je suffoque et tente de me nourrir de la légère brise intermittente.
Il est temps de faire une pause...
Comment peut-il faire aussi chaud ? Pourquoi est-ce si dur ? Alors c'est ça l'enfer ? Pourtant je suis en train de monter et on ne monte pas en enfer... Non : je suis bien au paradis. Pourquoi ? Car j'ai choisi d'être ici. L'enfer c'est tout le reste. La montagne ne ment pas. Elle n'est pas confortable. Mais elle est aussi brutale que juste. Si je continue à grimper dans ce four à ciel ouvert, je serai forcément récompensé. Alors il faut continuer.
Et la voilà ma récompense : une tente, un lac, la fraîcheur, le silence.
Aussi peu d'efforts pour un si beau cadeau ? C'est largement plus qu'il n'en faut."
Étape 14 : "Mi-temps"
Départ : Col d'Espingo - Arrivée : Bagnères-de-Luchon
Distance : 20,77km - Dénivelé : +834m/-2027m
"Me voilà donc à la mi-temps de la première mi-temps !
Une demi-journée de repos en pays Louchonnais s'imposait pour fêter cet heureux événement.
Comment ça "de repos" ? Pour "se reposer" ? "Se reposer" ??? Encore ??? Mais se reposer c'est tricher !!!
Que nenni ! Bibote avait une mission de la plus haute intendance cet après-midi... Car que serait-il sans une pilosité sub-buccale finement entretenue ? Plus grand-chose.
Alors terminé ce visage en jachère ! Bibote doit être au top de son capital beauté pour son entrée dans la très sauvage Ariège. Pourquoi ? Parce qu'il le vaut bien, tout simplement. Cette barbe clair-semée n'était absolument pas présentable.
Voilà un sens des priorités d'expert de la survie en milieu hostile ! Je sens vraiment que cette aventure va me transformer !"
Étape 15 : "Bienvenue au pays de l'Ours"
Départ : Bagnères-de-Luchon - Arrivée : Refuge Jacques Husson
Distance : 50,38km - Dénivelé : +3459m/-2162m
"Avec un sac très achalandé en victuailles suite à une série d'achats compulsifs dans une supérette Luchonnaisse, je m'attendais à "virevolter" sur les sentiers comme une tortue à la carapace de plomb. Et j'ai été servi... Enfin c'est surtout l'ours Ariégeois qui aurait pu l'être.
Ma pénible avancée m'a conduit directement dans sa gueule : un dernier mur de 1000 mètres de dénivelé en seulement 3 kilomètres de distance (les connaisseurs comprendront).
Durant cette ascension, la terrifiante lenteur de mes 95 kilos (sac compris évidemment) aurait pu me transformer en friandise faisandée pour gros nounours sauvage. Mais mon odeur de plus en plus pestilentielle au fil de cette journée "transpirante" l'aurait sûrement dissuadé de me croquer...
En tout cas, j'avais tellement faim en arrivant à l'étang d'Araing à la tombée de la nuit que j'en aurais dévoré un s'il avait eu la malchance de me croiser. C'est finalement ma poche de provisions qui aura fait les frais de mon appétit. Mauvaise nouvelle : il faudra repasser dans une supérette et apparemment elles sont très rares en Ariège. Par contre, mon sac sera beaucoup moins lourd demain !"
Chapitre 6 : "Escapade Ariègeoise"
Étape 16 : "La planète des singes"
Départ : Refuge Jacques Husson - Arrivée : Pla de Lalau
Distance : 30,01km - Dénivelé : +2059m/-3044m
"Il fut un temps où l'Homme vivait en Ariège. C'est une certitude car j'ai découvert de nombreux vestiges de cette époque lointaine pendant ma balade archéologique du jour.
Mais je n'ai croisé aucun être humain... Ni aucun singe d'ailleurs, alors que c'est son plus proche cousin et qu'une peau de banane s'est tapie sur mon chemin. Les hommes et les singes sont-ils en voie d'extinction dans ce magnifique département ? Vite ! Il faut que je le vérifie avec mon bigophone portable ! Ah... Ben non en fait... Il reste peut-être des hommes et des singes en Ariège mais la 4G a disparu. Ou peut-être jamais existé... Et c'est sûrement une très belle avancée technologique.
Ce qui est sûr, c'est que cette contrée sauvage regorge de descentes pour le moins "rustiques". Les cuisses de Bibote ont apprécié..."
Étape 17 : "Alerte orages"
Départ : Pla de Lalau - Arrivée : Cabane d'Aula
Distance : 43,73km - Dénivelé : +2532m/-1907m
"Il y a quelques années, Bibote ne regardait jamais les prévisions météorologiques avant de partir gambader en montagne. Mais c'était sans compter sur un éclair qui tomba en pleine nuit juste à côté de sa moustache. Depuis ce jour, et c'est une histoire vraie, il a changé...
Aujourd'hui, nous avions donc une "alerte orages" au programme avec des risques de vents violents et de chutes de grêle en altitude. J'ai bien réfléchi : avec mon ancre de 20 kilos arrimée sur le dos, il était assez improbable que je m'envole. Et pour la grêle ? Étant donnée la chaleur de ces derniers jours, un petit peu de glace à l'eau ne me ferait pas de mal.
J'entends déjà les pères la morale : "Qu'il continue à faire le malin celui-là. Un jour..."
Et gnagnagni et gnagnagna...
Évidemment Bibote n'est pas complètement inconscient et il avait prévu une solution de repli dans une petite bourgade de fond de vallée : Aunac. Mais d'orages, il n'y a finalement pas eu... Il a ainsi pu continuer son avancée à grandes enjambées.
Un orage, non... Un coup de foudre, si ! Monsieur le cœur d'artichaut est tombé amoureux de l'Ariège. Là-bas le temps s'est arrêté, la nature a repris ses droits, et même les prix sont libres !
Bon, ça ne sera sûrement pas l'amour de sa vie mais le voilà prêt pour l'histoire d'une nuit. Et oui, ce soir c'est depuis une cabane de berger très haut perchée qu'il vous écrit. Le confort y est d'ailleurs assez sommaire... Mais largement suffisant pour lui permettre de terminer cette page à l'abri de la pluie."
Étape 18 : "Haute couture"
Départ : Cabane d'Aula - Arrivée : Bidous
Distance : 28,93km - Dénivelé : +1328m/-2079m
"Quel bonheur de s'endormir bercé par le bruit des gouttes de pluie qui viennent délicatement caresser une toiture étanche. On se sent bien ! À l'abri de tout !
Mais le danger vient parfois de l'intérieur... Car, non, je n'étais pas le seul hôte de la cabane d'Aula. Et je m'en suis rendu compte au petit matin...
Comme tout grand expert en émissions télévisées de survie, je savais qu'il ne fallait jamais (JAMAIS !!!) laisser sa nourriture au sol pendant la nuit. Mais ces quelques amandes dans la poche ventrale de mon sac, je les avais malheureusement oubliées... J'en conclus que les souris aiment les amandes. Par contre, elles ne savent pas ouvrir les fermetures éclair... C'est un vrai problème et mon sac en a souffert.
Me voilà ainsi en train de jouer du fil et de l'aiguille pour réparer les stigmates de ce vilain larcin. Quel courageux ce sac ! Pas d'anesthésie locale et il n'a pas dit un mot ! Alors qu'il en a reçu pas mal de points de suture ! Certes, cette opération n'était pas de la grande couture. Si ce n'est de la "haute" par son altitude. Mais j'aimerais vous y voir vous, à recoudre un sac éclairé par une lampe frontale alors que vous n'avez pas l'habitude... Le plus important c'est que ça tienne !
En parlant de tenir, il y a une petite chose qui ne tient jamais bien longtemps avec Bibote : ses provisions. Alors d'accord on est plusieurs dans sa tête... Mais est-ce une raison qui justifie le fait de manger pour quatre ? En tout cas s'en était une pour devoir écourter l'étape du jour. Et oui, il a fallu se ravitailler. Ce n'est pas toujours aisé dans la montagne Ariègeoise et j'ai bien cru ne jamais pouvoir y arriver... Jusqu'à ce qu'au détour d'un chemin un miracle se produise enfin ! De la nourriture à foison en libre service ! Cette Ariège est vraiment extraordinaire !!!
Ça y'est, mon sac a enfin retrouvé son poids de forme ! Il ne me reste plus qu'à tout dévorer !
Heureusement que je sais ouvrir les fermetures éclair, je n'ai plus de fil à coudre."
Chapitre 7 : "Terre courage"
Étape 19 : "En pleine tempête"
Départ : Bidous - Arrivée : Refuge des étangs de Bassiés
Distance : 35,86km - Dénivelé : +2738m/-1869m
"Comment ça une "tempête" ? Il n'est pourtant tombé que quelques gouttes à la fin de la journée ! C'est vrai, mais tout s'est déroulé sous mes pieds...
Perdus dans un dédale incliné de ruisseaux, de racines, de boue et de pierriers, ils sont devenus le gouvernail d'un navire à la dérive. Un gros bateau à la proue moustachue qui avançait péniblement sans jamais vraiment trop savoir s'il montait ou descendait.
La mer Ariègeoise est parfois déchaînée ! Alors le "Biboat" a tangué... Et surtout fait son maximum pour ne pas chavirer ! Car le récif sous ses semelles était loin d'être édenté : il aurait été dommage de se blesser...
On m'avait bien prévenu de la difficulté de certaines étapes en Ariège, j'ai compris en ce dimanche toutes ces mises en garde. Jamais je n'avais emprunté des sentiers aussi compliqués : pendant près de 25 kilomètres, pas une minute de répis. Les muscles, les articulations, la concentration et le matériel ont été soumis à très rude épreuve. Mais finalement pas d'avarie...
Ouf ! Je suis arrivé à bon port sur les berges des étangs de Bassiés ! Il fallait vraiment avoir le pied marin aujourd'hui !
Pour la première fois depuis le début de cette traversée, le plaisir s'est un peu noyé dans un océan capricieux de roches. Tant pis, je me consolerai avec un petit trésor offert par la forêt..."
Étape 20 : "Comme un lundi"
Départ : Refuge des étangs de Bassiés - Arrivée : Goulier
Distance : 40,20km - Dénivelé : +1741m/-2248m
"Les jours se suivent et se ressemblent... Après un dimanche compliqué, ce lundi le fut tout autant. Mon cèpe m'aurait-il donné la gueule de sous-bois ? Je ne sais pas... En attendant, les faits sont là : une grosse gamelle, un bâton cassé, un nouveau petit problème de boussole interne, encore (encore !) une défaillance de gestion glycémique, et... c'est tout. Et déjà bien assez !
Heureusement que les paysages du jour furent à couper le souffle. Un très bon carburant pour avancer quand tout va de travers. Quel décor ! Du blanc, du gris et du blanc mélangé avec du gris : une journée dans la brume et surtout sous la pluie.
Rien de bien inspirant : pas de jolies photos, pas de métaphores, pas de moral...
Non mais tu vas arrêter de nous faire ton cinéma Bibote ??? Tu veux te mettre la corde au cou ou quoi ? Méfie-toi il va en tomber jusqu'à la fin de la semaine. Alors reprends-toi de suite et raconte un peu aux gens LA bonne nouvelle de ton lundi !!!
Ah oui, j'oubliais... En début de soirée je suis arrivé dans un petit village hors du temps (celui qui passe, pas celui qui mouille) : Goulier. Malheureusement son gîte d'étape fermait ses portes. Le bienveillant propriétaire m'a toutefois donné accès à ses commodités. J'ai ainsi pu prendre une douche bien chaude et noyer mon chagrin dans 500 grammes de boulgour.
Attendez... 500 grammes de boulgour avalés c'est bien 500 grammes de moins à porter ? Normalement oui (au poids de l'emballage près).
Ça y'est, tout est oublié !"
Étape 21 : "L'équilibre"
Départ : Goulier - Arrivée : Plateau de Beille
Distance : 38,22km - Dénivelé : +2524m/-1827m
"Et si un marcheur n'était qu'un funambule au long cours ? Si tout n'était qu'une question d'équilibre ? Chaque pas n'est peut-être qu'une chute rattrapée par une autre ?
Cet équilibre précaire tient sûrement en une corde dans laquelle s'entremêlent de nombreux fils : la fatigue, la peur, le risque, le matériel, l'allure, la météo, le terrain, l'alimentation, le mental...
Cet assemblage se doit d'être harmonieux, sinon... Sinon la corde sera trop fragile et cédera quoi qu'il arrive. Une rupture qui entraînera la fameuse "chute". Qu'elle soit figurée, propre ou sale.
Depuis quelques jours je chute. Pourquoi ? Car je néglige beaucoup trop de fils en voulant tenir la corde. Aller vite en faisant n'importe quoi, c'est un jeu dangereux. Aller vite en réfléchissant un peu, c'est mieux. Alors aujourd'hui j'ai décidé de réfléchir...
Oh je n'ai pas inventé le fil à couper le beurre ! Tiens, encore une histoire de fil... J'ai juste pris la sage décision de faire un détour de quelques kilomètres plus bas dans la vallée pour me rendre dans un lieu où j'aurais pu en trouver (des fils mais aussi du beurre) : un supermarché. Un marcheur dans un supermarché ??? Pour quoi faire ? Il se sentira beaucoup trop à l'étroit dans cette petite "grande surface". Pour (enfin) se procurer la nourriture nécessaire à sa bonne avancée !
En effet, bien plus que de me mettre à terre, la lourde chute d'hier aurait pû me coûter cher... Sûrement plus que quelques saines emplettes alimentaires.
Aujourd'hui j'ai donc marché, mangé et bu aussi régulièrement qu'allègrement. Et évidemment tout fut aussi facile que les jours précédents furent difficiles. Les percussions de mes pas se sont accordées aux vents de ma respiration en une mélodie au diapason de mon métronome cardiaque. Mes fameux bâtons, ces baguettes de chef d'orchestre qui jusqu'à présent donnaient le La de chacune de mes foulées, ont peu à peu cessé de toucher terre. Jamais je n'ai forcé, jamais je n'ai souffert.
Je l'ai enfin trouvé cet "équilibre" ! Du moins, je l'espère... Et il ne tenait qu'à un fil : la tête."
Chapitre 8 : "Aurevoir l'Ariège, bonjour la neige"
Étape 22 : "Merci Madame"
Départ : Plateau de Beille - Arrivée : Mérens-Les-Vals
Distance : 27,74km - Dénivelé : +1382m/-2014m
"Ah l'Ariège... Tu nous en auras bien fait chi...
Hé Bibote !!! Je te rappelle que des enfants sont peut-être de l'autre côté de l'écran. Alors on reste poli : "tu nous en auras bien fait baver."
Oui, la bave de cet escargot en quoi tu nous as parfois transformés.
Rustique, trapue, piquante, pleine de ressources : la vache Ariègeoise aura sauvagement encorné le cœur de Bibote. Plus jamais rien ne sera comme avant : il verra la montagne autrement. Comment retrouver si dur et si beau à la fois ? Il va falloir chercher longtemps...
Bibote aura tout connu pendant ses quelques jours en "Terre Courage". Certains considèrent d'ailleurs ce département comme un vestige du Moyen Âge. Pourtant il n'y a rien de "moyen" ici. Il y a eu des hauts : l'envolée vers le plateau de Beille, l'étape absolument magnifique de ce jour, les commerces "libres"... Il y a eu des bas : le manque de nourriture, la terrible descente vers Aulus-Les-Bains, la grosse chute d'avant-hier...
Et alors ? Quel ennui quand tout est plat !
Madame Ariège, je te quitte donc demain et tout sera désormais plus facile. Entre amertume et soulagement il faudra faire un choix. Mais Bibote et moi avons choisi de ne pas choisir. Car dans seulement quelques jours il sera déjà l'heure du retour...
En attendant, merci Madame !"
Étape 23 : "Le berger sans troupeau"
Départ : Mérens-Les-Vals - Arrivée : Bolquére
Distance : 39,04km - Dénivelé : +2115m/-1643m
"Haut comme trois pommes, Bibote ne rêvait pas de devenir gendarme, pilote, ou pompier : il voulait être berger. Mais pas n'importe lequel : un berger "avec une gamelle en fer et une cuillère en bois". Allez savoir pourquoi...
En dégustant son maigre repas sur une lauze de la petite cabane de Rouzet, il s'est rappelé à ce vieux souvenir d'enfance.
Et s'il n'était finalement pas devenu un berger vagabond ? D'estive en estive, de cabane en cabane, sans chien, sans troupeau, mais avec une magnifique moustache et une superbe casquette ! (qui ne sent malheureusement plus très bon...)
Depuis son départ, Bibote en aura croisé des brebis ! Ce matin, ces infatigables jardinières, qui s'affairent habituellement à réguler la hauteur des verts pâturages, redescendaient à cloches battantes dans la vallée... Et oui : une tempête arrive et la montagne va frémir ! Le vent va souffler et la neige tomber !
Sûrement pas de quoi en faire tout un fromage mais Bibote a quand-même décidé de rester tranquille au moins une matinée. Non pas qu'il ait peur du danger : c'est un vrai guerrier ! Mais un nez qui coule dans une moustache c'est très désagréable...
L'heure est venue de compter les brebis pour profiter d'une longue nuit. La première depuis bien longtemps...
Quel berger ce Bibote !"
Étape 24 : "Tops moumoutes"
Départ : Bolquére - Arrivée : Refuge du Ras de la Carança
Distance : 24,31km - Dénivelé : +1493m/-1236m
"Il est bientôt midi et les bulletins météos ne sont pas très engageants... Mais l'ennui me ronge les jambes et l'espr"it : impossible d'attendre plus longtemps.
Il faut parfois choisir : l'ennui ou les ennuis... Oh et puis tant pis ! Il y aura bien une cabane en chemin si la situation dégénère. Voilà en plus des conditions particulièrement adaptées à l'essayage de tout ce textile "sophistiqué" qui m'a coûté si cher. Allez hop, je suis parti !
Comme annoncé, le temps est dantesque en altitude ! L'apocalypse ! Le vent est là, la neige aussi ! Les flocons charriés par les rafales me "caressent vigoureusement" le visage. Je peine même à garder les yeux ouverts dans ce blizzard à faire grelotter les isards. Et pourtant, je me sens bien... C'est bizarre ? Non. Car je suis au sec, au chaud, et quand-même un peu maso...
Au sec ? Au chaud ? Avec ce temps c'est impossible. Mais si ! Et ce n'est pas un miracle... Tous ces vêtements qui m'ont coutés les yeux de la tête, ils sont carrément... "TOPS MOUMOUTES" !!! Avec cette armure anti-froid et anti-gouttes, je n'ai plus aucun doute : il va falloir que la montagne trouve mieux que du sucre glace et des petits courants d'air pour m'empêcher de tailler ma route !
Une route qui m'a d'ailleurs menée tout droit jusqu'au refuge du Ras de la Carança où je suis arrivé pile-poêle pour le repas. Une succulente soupe de légumes au coin du feu : il en faut tellement peu pour être heureux !"
Chapitre 9 : "La fraîcheur orientale"
Étape 25 : "The Revenant"
Départ : Refuge du Ras de la Carança - Arrivée : Refuge des Mariailles
Distance : 28,85km - Dénivelé : +1846m/-1922m
"C'est décidé, je vais devenir trappeur. Si un ours en veut à ma moustache, je me défendrai. Je n'ai plus besoin de tente, je préfère dormir dans le ventre d'animaux sans vie. Dans ma quête de peaux et d'absolu, je pourrai tout endurer. Un jour on me laissera pour mort... Mais je reviendrai...
Hé Bibote Di Caprio, tu ne serais pas un bel escroc ? Hollywood c'est bien mais les Pyrénées c'est mieux ! Pas besoin de producteurs, de réalisateurs ou d'effets spéciaux : il suffit de laisser la nature faire le boulot ! 40 centimètres de neige tombés dans la nuit : voilà de quoi écrire un bon scénario ! Pas de la poudreuse aux yeux, une vraie histoire de bonhomme !
C'est incroyable, j'ai de la neige jusqu'aux genoux ! Imaginez-vous si j'avais mesuré un mètre de moins : j'en aurais presque eu jusqu'au cou !
Mon avancée est lente, les balises intermittentes. Tout est blanc... Suis-je sur le bon chemin ? Je ne sais plus vraiment... Je ne serai jamais à l'heure ! Et alors ? Il faut profiter, savourer ce bonheur de marcher seul dans cette neige immaculée. Elle ne sera pas éternelle mais ce souvenir, lui, ne fondra pas.
Quelle matinée !"
Étape 26 : "Mer en vue"
Départ : Refuge des Mariailles - Arrivée : Arles-Sur-Tech
Distance : 49,47km - Dénivelé : +1633m/-2990m
"Vêtu avant l'heure d'un manteau d'hiver qui lui va si bien, le légendaire massif "Sang et Or" du Canigou se dresse devant moi en ce très frais dimanche matin. Des volutes de neige se détachent de ses sommets et s'entremêlent avec les rayons du soleil naissant avant de disparaitre dans le néant. Cette élégante valse blanche est hypnotisante...
Mais attention ! Il faut rester vigilant ! La neige tombée en abondance ces derniers jours s'est par endroits transformée en glace. Les pierriers sur lesquels j'évolue sont particulièrement glissants : de vraies savonnettes ! Une chute si proche du but ? Il serait tellement bête de se blesser maintenant. Car pour la première fois je l'ai aperçue... J'avais quitté un océan et voilà une mer droit devant : la Méditerranée est en vue ! Mon voyage est quasiment terminé ! Enfin, juste sa moitié...
Je peux entamer la longue descente vers Arles-Sur-Tech le cœur léger. Heu... Pas trop quand-même : la puissante et glaciale tramontane du jour essaie de me dérober ma casquette. Sûrement pas pour son odeur... Vilaine !"
Étape 27 : "Le marché des transferts"
Départ : Arles-Sur-Tech - Arrivée : Le Perthus
Distance : 47,20km - Dénivelé : +2276m/-2354m
"Hier un froid polaire et aujourd'hui une ambiance printanière : cette météo est vraiment très bizarre. Je me dis toutefois que certains jours le parcours du GR10 l'est encore plus...
Tout commençait pourtant très bien avec une belle et exigeante ascension de la Collada de Sant-Marti. Puis... Plus rien. Absolument plus rien. Des routes goudronnées, de larges pistes forestières, et pas un seul point de vue sur le paysage. Impossible ! Je ne suis pas sur le bon chemin ! Qui a déplacé le balisage ???
Un grand monsieur a dit un jour que "dans un voyage ce n'est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru". D'accord, alors aujourd'hui il va falloir raisonner par l'absurde. Si ce chemin est insipide sa destination doit être fabuleuse ! Perdu... Ou plutôt Perthus, Le Perthus.
Me voilà donc arrivé dans ce village transfrontalier. Une sorte de couloir à ciel ouvert entre l'Espagne et la France. Couloir à ciel ouvert certes, mais tout y est fermé ! Rien pour grignoter et surtout aucun endroit propice à un bivouac de qualité ! La nuit est tombée et je ne vais quand-même pas la passer sur un sinistre parking...
Non !!! Car j'ai trouvé mieux : un petit stade légèrement excentré du centre-ville. Et qui dit stade, dit vestiaires !
Le Football Club Perthusien accueille ce soir une nouvelle recrue : Bibote d'Haricot !
Les supporters peuvent se calmer : Bibote a la tête aussi ronde que ses pieds sont carrés... Avant de frapper dans un ballon, il s'en servira plutôt pour se carapater.
La destination de ce départ prématuré est... Vous le saurez demain ! Selon une source très proche du dossier, le FC Barcelone ne serait pas intéressé. Dommage, c'était la porte à côté !"
Chapitre 10 : "Escale Méditerranéenne"
Étape 28 : "Au bout du tunnel"
Départ : Le Perthus - Arrivée : Banyuls-Sur-Mer
Distance : 34,79km - Dénivelé : +1536m/-1768m
"Quatre semaines de vallées en sommets à tutoyer le ciel pour finir dans un tunnel... Ce tunnel à l'entrée de Banyuls-Sur-Mer enterre donc mon aller. J'ai avancé vers la lumière et il s'en est allé... Où ça ? Dans mon dos. C'est à présent l'heure de regarder la mer et de prendre du repos. Je repartirai bientôt : un, deux, trois jours ? J'attendrai que l'appétit revienne...
Toutes les bonnes choses ont une faim : je me laisse le temps de l'assouvir et de la retrouver. Assouvir cette faim de nourriture et retrouver celle de la montagne.
Mais toutes les bonnes choses ont aussi une fin... Alors comment rentrer ? Lentement ? Vite ? Par quels chemins ?
Bibote voudrait rentrer le plus rapidement possible. Il sait où, quand et comment il a perdu du temps. Il est sûr qu'il pourrait se battre lui-même par cet aller devenu retour. Un retour où les montées seront descentes et les descentes seront montées. Un retour dont il connaîtra tous les secrets.
Gros problème : Bibote déteste refaire deux fois les mêmes choses... Alors il va devoir prendre son mal en patience. C'est décidé : l'inconfort a gagné ! Nous allons donc rentrer en prenant le temps de le perdre. Et sûrement de se perdre...
Pas de GR10 en intégralité pour le retour ! Beaucoup de morceaux, évidemment, mais aussi d'autres voies, balisées ou pas, des crêtes, des sommets... On verra bien ce que ça va donner !
Maintenant il est l'heure de manger ! Des montagnes de fruits, de poissons, de légumes, de viandes... Encore des montagnes ??? Décidément, je n'ai plus que ce mot à la bouche ! Si seulement il suffisait à me remplir le ventre..."
Étape 29 : "Son et matière"
Départ : Banyuls-Sur-Mer - Arrivée : Col de l'Ouillat
Distance : 25,29km - Dénivelé : +1807m/-909m
"Deux jours de repos plus tard voilà Bibote qui repart. Et quel redémarrage !
Quand on a faim, on mange. Mais quand on a très faim, il arrive qu'on mange beaucoup trop... Je crois malheureusement que mon estomac n'a pas supporté le choc boulimique que je lui ai imposé pendant ces 48 dernières heures...
Après une nuit des plus chaotique, ma nouvelle aventure a donc démarré en fanfare ! Un véritable spectacle "son et matière" ! Je vous passe les odeurs... Des envies aussi pressantes que récurrentes qui ont transformé ma matinée pédestre en un véritable calvaire.
On peut dire que les coteaux de Banyuls auront profité allègrement de l'épandage de Bibote ! Il laissera son empreinte digestive sur la cuvée 2020 du célèbre vin méditerranéen !
Bon, arrêtons de parler œnologie car cette journée fut loin d'être un grand cru... Un Bibote malade (vous aurez sûrement compris son mal), dans l'impossibilité de s'alimenter, et devant affronter conditions climatiques cataclysmiques. Pour la première fois l'étanchéité de sa tenue "top moumoute", battue pendant plusieurs heures par une pluie torrentielle et un vent tempétueux, a failli à sa tâche. Son mental aussi a vacillé... Mais Bibote d'Haricot a finalement été sauvé des eaux et du froid par le refuge du col de l'Ouillat !
Ah, tiens... J'ai comme une envie qui vient. Oh non..."
Étape 30 : "Adieu le GR10"
Départ : Col de l'Ouillat - Arrivée : Maçanet de Cabrenys
Distance : 39,80km - Dénivelé : +953m/-1602m
"Une longue descente et quelques kilomètres goudronnés plus loin, me voilà à la Jonquera. Cette destination parlera sûrement à certains... Et bien que remis de mes émotions gastriques de la veille, je dois dire que mon arrivée dans ce haut lieu de l'immondice mercantile m'a quand-même donné la nausée...
Mais ça y'est le plus dur est passé ! Je peux réouvrir les yeux et prendre un grand bol d'air frais ! GR10, aujourd'hui je te quitte pour mieux te retrouver. Je rejoins une terre où l'herbe sera sûrement moins verte et plus sèche... La terre d'un autre sens, d'un autre versant, d'une autre contrée : le GR11 se dévoile enfin à mes pieds !
"La Senda" ressemble pour l'instant beaucoup à mes Landes natales. Il y a des pins et des chênes-lièges partout ! J'adôôôre !!! Il manque juste la plage, les vagues, le maïs, le confit de canard, les... En fait, il manque pas mal de choses...
Ce n'est pas grave : ma moustache est avide de nouveautés et elle a hâte de découvrir ces nouveaux sentiers ! Bibote est motivé comme jamais !
Par contre, mesdames et messieurs les Castillans, il va falloir faire un petit effort pour vous mettre au français. C'est la plus belle langue du monde et surtout la seule que je sache correctement parler.
Merci d'avance."
Chapitre 11 : "Viva Catalunya !"
Étape 31 : "Drapeau blanc"
Départ : Maçanet de Cabrenys - Arrivée : Sant Agnol d'Aguja
Distance : 34,40km - Dénivelé : +1617m/-1531m
"Hier Bibote s'est fourvoyé. Oooh non... Il n'est pas en Espagne. Des panneaux aux façades, ici tout vous le rappelle.
Agité par la brise indépendantiste, le tissu Catalan arbore fièrement ses couleurs au dessus de chaque bâtiment. De sang chaud et d'orfèvre, il m'observe... Je suis la mouche tricolore qui tâche son écran. Mais lui ne voudra pas m'écraser, il a une autre idée : me faire croire que sa montagne est docile et d'un coup... BAM !!! Un mur !
Pas un énorme mur, juste ce qu'il faut de pierres et de pente pour me casser les pattes. Un, puis deux, puis trois, puis quatre... Il va bien finir par m'arrêter ! Et c'est ce qu'il a fait...
À moi de hisser mon drapeau, il sera blanc. Je voulais me rendre à Beget et j'en viens à me rendre, tout simplement. Escale devant la chapelle de Sant Agnol d'Aguja.
Le bivouac n'y est normalement pas autorisé. Au vue de l'agitation animale autour de ma crèche éphémère, je commence à comprendre pourquoi. Les bestioles ne sont sûrement pas croyantes mais quelque chose les intéresse... Je parie que mon sac de provisions doit bien leur valoir une messe.
J'espère que je vais arriver à fermer l'œil cette nuit. Un drapeau blanc c'est déjà suffisant."
Étape 32 : "La douleur"
Départ : Sant Agnol d'Aguja - Arrivée : Camprodón
Distance : 31,00km - Dénivelé : +1508m/-1015m
"Il n'y a pas si longtemps, Bibote avait une méthode bien à lui pour soulager ses douleurs. Monsieur faisait en sorte de les masquer en s'en créant de plus vives ailleurs. Il avait donc toujours mal par-ci par-là, mais jamais au même endroit ! Quelle intelligence !
Un jour, son genou droit, qui ne devait pas être si dur au mal que ça, se brisa.
Impossible !!! Bibote était toujours "un peu blessé", il ne s'était cependant jamais vraiment blessé... La blessure, la vraie, celle qui dure des mois. Cette bête qui fait souffrir le corps et la tête. Cette satanée souffrance qui obsède jour et nuit et dont on croit que ne reviendra jamais.
Quoi qu'il advienne, la blessure vous transforme : même un irréductible moustachu a changé...
Ce lundi la Catalogne s'est présentée toute en rondeur à mes semelles. Des pentes douces, régulières, un sol moelleux, du soleil, une température idéale... Pourtant, la douleur s'est installée. Lancinante d'abord, continue après. Raaah ! Encore ce tendon d'Achille...
Et là... La révélation ! Un des villages qui allait croiser ma route avait pour petit nom "Molló". Je n'ai aucunes notions en catalan mais les messages subliminaux sont universels. Alors oui, je vais y aller "mollo".
Bibote, le chemin sera encore long jusqu'à la maison : aujourd'hui on range ses chaussures plus tôt que prévu et on câline ce joli tendon."
Étape 33 : "Lèche-vitrines"
Départ : Camprodón - Arrivée : Vallter 2000
Distance : 32,86km - Dénivelé : +2150m/-911m
"Toute la journée elle m'a hanté... Qui ça ? La vitrine.
Afficher de manière si ostentatoire ce bonheur gras à un pauvre randonneur... Quel scandale ! Il me faut toute cette cochonnaille ! Je sens que je perds du poids et je n'aime pas ça.
À notre époque où la chasse à la calorie est devenue cause nationale, les régimes sont rois. Dukan, Myo, Dash, Mind... Chacun y va de sa solution miracle. Mais quel régime vous garantit de perdre du poids en mangeant à volonté du chocolat et en buvant l'huile de vos boîtes de sardines ? Il n'y en a qu'un : le Bibote d'Haricot.
La méthode est très simple : manger n'importe comment et en très grande quantité tout ce qui passe à portée de votre bouche. Par contre, il ne faudra pas oublier d'escalader des montagnes quotidiennement pendant une dizaine d'heures équipé d'un chargement dorsal de vingt kilos. Tout est facile avec de la discipline.
En espérant un effet yo-yo dans quelques semaines, ma belle balade Catalane se poursuit. La transhumance de ce mardi, démarrée devant la vitrine d'une charcuterie, m'a conduit tout droit face au guichet d'une station de ski. En cette période de vache maigre touristico-covidienne, de nombreux refuges d'altitude sont déjà fermés...
Heureusement que Bibote trouve toujours une solution pour éviter à sa tente de se mouiller !"
Chapitre 12 : "Trésors Catalans"
Étape 34 : "Faille temporelle"
Départ : Vallter 2000 - Arrivée : Fornells de la Muntanya
Distance : 42,69km - Dénivelé : +2116m/-2967m
"De l'autre côté des Pyrénées on ne fait pas les choses à moitié. Sixième étape depuis mon nouveau départ et déjà un premier passage à 2800 mètres d'altitude : plus haut que le point culminant du GR10 !
Bibote est très cocardier mais il doit s'incliner : il n'y a pas à dire, les espagnols sont à la pointe question montagne. En une journée ils viennent de lui faire la démonstration de leurs multiples talents : de la neige, du soleil, du vent, des pierriers, des crêtes, des isards, des bouquetins, des gorges, des cascades... J'en passe et des meilleures. La totale !
Si bien que j'ai commencé à me poser quelques questions... Est-ce que je suis toujours aujourd'hui ou ce matin était hier et cet après-midi sera demain ? Une telle diversité est-elle possible en une seule journée ?
Non mais attendez, il est minuit passé. J'écris donc demain le texte sur la journée d'aujourd'hui qui s'est déroulée hier. C'est ça ?
Bon je crois vraiment qu'il est temps de partir se coucher pour être en pleine forme demain. Heu... Non ! Aujourd'hui."
Étape 35 : "Sauvage"
Départ : Fornells de la Muntanya - Arrivée : Estany Sec
Distance : 42,99km - Dénivelé : +2071m/-1302m
"Savourant le soleil indien de cette magnifique journée, je repense à vendredi dernier... Plié en deux par un ventre agonisant, trempé par une pluie battante et frigorifié par des bourrasques glaciales. Ce jour-là le vase a débordé : mes larmes sont venues se mêler aux gouttes pour inonder le massif des Albères.
Quoi ??? Bibote tu as pleuré ? Moi qui croyais que les moustachus ne pleuraient jamais...
Monsieur Bibote d'Haricot, ce n'est pas la dernière fois que la montagne t'attrapera par le col pour te secouer un peu. Sâche qu'elle le fera toujours pour ton bien.
Ton ennemie est ailleurs, à tes trousses... Gentiment cette "chose" te domestiquera avant de te dresser. En te secouant ? Non, beaucoup plus finement.
Le travail, la maison, la voiture, les achats, les crédits, les responsabilités... Autant de coups de fouet qui te feront si bien du mal que tu ne les sentiras pas. C'est là tout l'art de celle à qui tu devras échapper : la norme. Car même sans douleurs elle te frappera toujours plus fort que la montagne.
Alors pleure sous la pluie si ça te chante mais fuis-la ! Ta cage est ouverte, échappe-toi ! Marche et dévore les kilomètres en restant la bête que tu dois être : sauvage."
Étape 36 : "Comme un gant"
Départ : Estany Sec - Arrivée : Encamp
Distance : 34,78km - Dénivelé : +1500m/-2341m
"Les jours passent et la montagne change. Petit à petit, elle se pare de ses plus beaux ornements d'automne. Pour fêter mon arrivée dans la principauté d'Andorre, le parcours du jour m'a offert un véritable feu d'artifice chromatique. Du vert, du blanc, du bleu, du jaune, du orange, du rouge... J'en ai pris plein les mirettes !
Les yeux distraits par ce kaléidoscope naturel, j'ai même failli en perdre mes mains...
Mes gants, où sont-ils ? Poche gauche du haut ? Non. Poche gauche du bas ? Non. Poche droite du... Bon, je ne vais pas vous faire toutes mes poches, on y passerait la nuit. De toute façon ils n'étaient dans aucune d'entre elles.
Mais alors où sont-ils ? Je sais... À côté de ce gros rocher sur lequel s'est déroulée ma dernière halte gustativo-contemplative de la matinée.
Mais c'était il y a déjà des kilomètres ! Alors que faire ? Abandonner mes fidèles compagnons et les laisser orphelins de mes mains ? Impossible : je m'y suis attaché et je sais que regretterai ma paresse quand je serai à deux doigts des engelures. Mes gants, attendez-moi ! J'arrive !
L'occasion de l'urgence est trop belle : il est temps de savoir de quoi mon nouveau corps est capable. Charpenté par ces semaines d'altitude, de distance et de lourdeur, il doit maintenant être prêt. Mes béquilles de carbone et mon parachute de plomb sont cachés. 3, 2, 1... C'est parti !!! À fond les ballons jusqu'à mes gants !
Et là, l'impossible s'est produit... De foulée en foulée, de saut en saut, des pierre en pierre... Ça y'est ! 18 mois plus tard, ce nouveau genou droit me va enfin comme un gant ! Il en aura fallu du temps !
S'ils avaient eu leur main c'est sûr qu'ils m'auraient applaudi ! Qui ça ? Ces gants qui m'attendaient paisiblement à l'endroit où je les avais oubliés.
Allez, il faut à présent terminer notre première étape Andorrane et continuer à savourer ses paysages princiers. Pour me faire pardonner, mes très chers gants, je vous mets au premier rang."
Chapitre 13 : "Le salaire de la peur"
Étape 37 : "Fiscalité"
Départ : Encamp - Arrivée : Arinsal
Distance : 23,76km - Dénivelé : +1829m/-1627m
"Il est sujet quotidien.
Peau de chagrin selon certains.
Revenu, société, foncier...
Pour d'autres vaches à lait.
Panier commun d'un grand emprunt.
Trou sans fond s'il en est un.
Notre dette est abyssale !
Inflexible Banque Centrale...
Alors comment la rembourser ?
Il serait grand temps de l'effacer...
Mais qu'est-ce que je raconte ???
Je suis économiste ? Pfff...
Unique comptable de mes pas.
Ils m'éloignent bien loin de tout ça !
Je ne dois qu'un seul impôt.
Je le paierai à mon corps.
Juste du repos.
En récompense de ses efforts.
Quelque part en Andorre...
Un exonéré s'endort.
Comapedrosa l'attend !
La neige, le vent.
La montagne est animale.
Le paradis... fiscal."
Étape 38 : "La peur"
Départ : Arsinal - Arrivée : Alins
Distance : 34,04km - Dénivelé : +1643m/-2044m
"En m'engageant ce matin sur les contreforts du Coma Pedrosa je pressentais que cette journée serait mouvementée. La météo maussade et l'altitude élevée ne font pas bon ménage quand on cherche la tranquillité.
À l'heure de l'apéritif, la Portella de Baiau m'a permis de découvrir la recette d'un nouveau cocktail nommé... "Danger". Neige, vent, grêle, pierriers, verglas, crevasses... Et surtout une raideur comme rarement je n'en avais rencontré. Un dosage un peu trop prononcé à mon goût dont les effets secondaires auront été une peur primaire. Étant donné les circonstances climatiques peu reluisantes, il fallait faire un choix (et vite !) : l'affronter ou se transformer en bonhomme de neige à moustache.
Alors je suis descendu... Et je dois à cette peur mon salut. Elle ne m'a pas paralysé : elle m'a guidé. Guidé chacun de mes tâtonnements, de mes appuis, de mes pas. Évidemment mon avancée fut (très) (très...) lente. Cependant, aussi bizarre que cela puisse paraître, je sentais que quoi qu'il arrive je ne chuterai pas. Des ficelles me retenaient... J'étais tout simplement devenu la marionnette adrénaline de mes frayeurs. Je ne contrôlais plus mes mouvements mais ils étaient précis, justes. Sans trop savoir comment, j'ai ainsi pu atteindre le refuge de Baiau et me mettre à l'abri de ce chaos quelques minutes avant de regagner la vallée.
L'altitude baissant, le temps est soudainement devenu plus clément, les pentes plus douces, mon souffle plus lisse... Ouf ! Je suis enfin arrivé ! Quelle étape !
À l'orée de cette journée une question se pose : serais-je à nouveau capable d'affronter un tel danger ? Pour l'instant je ne sais pas... Je laisserai ma peur le décider."
Étape 39 : "La montagne pas la guerre"
Départ : Alins - Arrivée : Estaon
Distance : 35,46km - Dénivelé : +2318m/-2067m
"Mes chaussures sont enfilées et mes bâtons à portée de mains. En voilà des fidèles paires d'armes prêtes à en découdre ! Vissée sur le dos, mon épicerie tactique aussi lourde qu'un char Leclerc m'accompagnera si le combat s'éternise ! Aujourd'hui ça va être la guerre ! Montagne à nous deux ! Chaaargez !!!
Roooh... Mais Bibote tu vas te taire ! Alors toi aussi tu t'y mets ? Comme un entraîneur ou notre cher Président ? Si vraiment vous l'aviez faite, "la guerre", vous changeriez de vocabulaire...
Oui la montagne peut être mondiale, grande ou froide, mais c'est tout sauf un champ de bataille. Grignoter paisiblement au ciel quelques millimètres millénaire après millénaire, tu appelles ça une guerre ? À moins que n'y sommeille un volcan, jamais elle ne sera à feu et à sang. Donc tu peux ranger ton fusil en plastique première classe Bibote.
Pense plutôt à repousser tes limites sans jamais les dépasser. Les seules lignes que tu franchiras seront les blanches de l'horizon cabossé qui se présente à tes pieds. Une marche pacifique vers cet océan que tu aimes tant.
C'est bon le va-t-en-guerre moustachu (encore un...), tu t'es calmé ? Allez, on peut y aller !"
Chapitre 14 : "L'enfer au paradis"
Étape 40 : "Un isard sans dossard"
Départ : Estaon - Arrivée : Estany de Sant Maurici
Distance : 41,09km - Dénivelé : +2436m/-1691m
"Le soleil fatigué de ce début d'automne peine à sortir son lit (je dois avouer que ça commence à être souvent le cas pour moi aussi...) tandis que je fonce tête baissée vers mon petit-déjeuner : une montée "tonifiante" de 3 kilomètres pour 1100 mètres de dénivelé !
Mon rythme est bon et je me sens très bien. Je peux relever ma moustache et humer l'air frais de ce beau mardi matin en laissant mes gambettes en pilotage automatique. Je monte, je monte, je monte... Lorsque soudain je le vois ! Un isard énôôôrme posté sur un rocher juste au dessus de moi ! Il me regarde quelques secondes avant de s'envoler habilement dans la pente. Atterrissant quelques mètres plus haut sur un autre perchoir, il m'observe à nouveau. Et quand j'arrive à sa hauteur... Rebelote ! Monsieur se dérobe avant de m'attendre. S'ennuyant sûrement de ma lenteur, il finit par s'évanouir dans la nature me laissant seul poursuivre mon ascension.
Cette course perdue d'avance m'a rappelé l'époque "pressée" où je n'avais pas de sac mais juste un morceau de papier soigneusement accroché sur le torse. Ah ce fameux dossard... Celui pour qui j'étais prêt à tous les efforts. Pourquoi ? La gloriole éphémère des podiums sûrement. Ce dossard en était devenu tellement lourd... Car tout devenait trop sérieux avec lui : les entraînements, la nourriture, le calendrier, la récupération...
Ce temps est révolu ! Il y a bien longtemps que Bibote ne s'est plus épinglé un dossard. Pourtant il se sent beaucoup plus fort qu'il ne l'était quand il était un soi-disant "compétiteur". Meilleur qu'un isard ? Oooh... Loin de là ! Celui de ce matin m'aurait volé mon filet garni et mes bons d'achats !
Alors le moustachu de compétition, voilà une petite question : vaut-il mieux être faible parmi les isards ou fort parmi les dossards ?
Aujourd'hui j'ai ma réponse : des souvenirs se conserveront toujours plus longtemps qu'un jambon."
Étape 41 : "La beauté empoisonnée" (partie 1)
Départ : Estany de Sant Maurici - Arrivée : Salardú
Distance : 27,88km - Dénivelé : +964m/-1604m
"Tout avait si bien commencé... Le parc national d'Aigüestortes me dévoilait paisiblement ses trésors quand... Quand il a fallu commencer à monter évidemment. Le Port de Ratera plus précisément. Une ascension facile pour un Bibote plus affûté que jamais ! Et là tout a basculé...
L'altitude s'élevant, la neige devint de plus en plus présente. Jusqu'à ce que soudainement ma jambe droite s'y enfonce jusqu'au genou. La droite, puis la gauche, puis... Impossible. Un manteau neigeux aussi épais ? Tant pis j'avance !
Avancer certes, mais quand chaque pas devient une pénitence ? Après les genoux, les hanches ??? Où cela va-t-il s'arrêter ?
À quatre pattes, en rampant, sur les fesses, en utilisant mes poings comme des piolets... Tout y est passé. J'ai même pensé à la visière de ma casquette !
Résultat : 12 kilomètres en 6 heures et 45 minutes. L'escargot des neiges vous salut bien...
Mais tout ça aurait pu être dramatique : l'épuisement, le danger, l'impossibilité de m'orienter. La montagne, magnifique et enivrante, est une beauté empoisonnée qui peut faire perdre la raison.
Oui j'ai vu aujourd'hui ce que personne d'autre n'aurait pu voir. À quel prix ? Un de ceux qui coûte parfois trop cher...
Vers 13h00, je décide donc de stopper mon avancée pour réfléchir à la suite de cette journée : il y a presque 1 mètre de neige sur les sommets, le ciel recommence à se perler de gros flocons, les refuges sont fermés, mon deuxième bâton vient de se briser, il me reste deux cols en haute altitude à franchir et je suis exténué..."
Étape 41 : "La beauté empoisonnée" (partie 2)
Départ : Estany de Sant Maurici - Arrivée : Salardú
Distance : 27,88km - Dénivelé : +964m/-1604m
"Cette décision est très dure à prendre... Cependant je sais que c'est la bonne. J'en verse d'ailleurs une larme (encore !). L'impossible de l'un est parfois le possible des autres mais pour moi s'en est trop : il est temps de quitter quelques jours les sentiers du GR11 pour trouver terres plus clémentes et moins enneigées.
Ma fameuse "limite" est atteinte : je ne terminerai pas cette étape. Direction Salardú plus bas dans la vallée. J'espère y cueillir l'hospitalité, une douche bien chaude et surtout de quoi préparer la suite de mon voyage. Il faut être réaliste et pragmatique : la neige tombée en abondance ces derniers jours ne fondra pas avant des mois. Je vais donc devoir contourner les poudreuses prédatrices des passages les plus hauts des Pyrénées centrales espagnoles.
Le bitume remplacera la neige, le poison la beauté, et le noir le blanc. Mais est-ce si important ?
Le gladiateur Bibotus a touché son Graal aujourd'hui : il s'est vaincu lui-même dans l'une des plus belles arènes du monde. Levant son pouce vers le ciel, la montagne a dit : "la vie !"."
Chapitre 15 : "Bifurcation"
Étape 42 : "Por la carretera"
Départ : Salardú - Arrivée : Bagnères-de-Luchon
Distance : 42,57km - Dénivelé : +772m/-1376m
"Et personne ne m'a rien dit... À croire que la journée d'hier m'a vraiment traumatisé. "Empoissonnée" au lieu "d'empoisonnée"... Dans le titre en plus ! Mais quelle horreur !
Ceci dit, peut-être qu'un "empoissonnement" ne m'aurait pas fait de mal. Devenir ce poisson-chat moustachu qui retombe toujours sur ses nageoires. Quel pied !
Je me souviendrai longtemps des 100 mètres qui auront changé la destinée de cette aventure. Les 100 mètres les plus longs de mon existence... Seul sur ce flan de montagne enneigé quasi vertical. Comment avancer pour ne pas finir congelé ? Un poisson congelé ça n'a pas de goût et ça perd de l'eau à la cuisson ! Beurk...
Grâce à la technique révolutionnaire dite "du crabe" ! Ventre collé contre la paroi en frappant de ses pinces la neige pour se déplacer latéralement. À cet instant, je ne maîtrisais absolument plus rien... Seul, vue sur le vide, avec cette avalanche de Damoclès au dessus de la casquette...
Il est hors de question que Bibote revive une telle épreuve avant la fin de sa traversée. Alors oui, il a longé tête baissée les routes le ramenant en France... Mais pouvait-il en être autrement ? Sûrement pas. La neige encore tombée en abondance cette nuit l'a conforté dans son choix.
Redresse-toi Bibote ! Non tu n'a pas abandonné : tu t'es tout simplement adapté. En voilà une moustache intelligente ! Par la célèbre "Route des Cols" tu contourneras les obstacles infranchissables des plus hauts sommets des Pyrénées. Le col du Tourmalet, d'Aubisque, de Peyresourde... Quand on est un passionné de vélo c'est quand-même un joli réconfort ? Non ??? Bien sûr que oui !!!
Retour en France aujourd'hui ! Quel comité d'accueil exceptionnel ! De la neige ce matin et de la pluie cet après-midi. Et cette odeur de pot d'échappement... Miam !"
Étape 43 : "Là-haut"
Départ : Bagnères-de-Luchon - Arrivée : Arreau
Distance : 34,21km - Dénivelé : +1070m/-1003m
"Sur la route tout est si monotone... Alors l'ennui vous guette et petit à petit vous y pensez. Il se cache au fond de votre poche et vous attend patiemment... Puis son appel est trop fort : il vous aimante !
Parfois le retour à la réalité de cet ennui portable que votre main attrape et vos yeux dévorent est brutal... Car apparemment certains n'ont pas besoin de montagnes pour atteindre des sommets de bêtise. La bêtise humaine qui allume et couvre les feux. Qui masque les visages et découpe les têtes.
Alors oui, la moustache de Bibote part souvent en vrille. Beaucoup se diront que c'est un abruti de partir à l'aventure seul pendant plusieurs semaines en laissant tout derrière lui. Mais, au contraire des autres, il a la lucidité de faire en sorte que sa folie et ses peurs ne fassent de mal qu'à ses semelles.
Tu vois Bibote d'Haricot, les gens sont toujours aussi bêtes. Heureusement qu'il fait chaud et que tu pourras retrouver très vite des bêtes un peu moins... "humaines".
Tu sais, dans un endroit magique où il n'y a pas de réseau... Où ça ? Là-haut."
Étape 44 : "Les enrobés"
Départ : Arreau - Arrivée : Viella
Distance : 48,02km - Dénivelé : +2025m/-1991m
"Que l'étape d'hier était pénible... SO-PO-RI-FIQUE. Alors aujourd'hui on ne va pas s'amuser à suivre les lacets des légendaires cols routiers d'Aspin et du Tourmalet. Parce que justement, ce n'est pas très amusant...
Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de faire des routes si longues en montagne ? Sûrement à cause de ces bestioles motorisées... Pour aller d'un point A à un point B, les voitures passent donc par Z. Allez, pour ne pas caricaturer et arrondir les angles, on dira par S.
Lacets, en ce samedi ensoleillé que nous ne souhaitons pas lassant, nous avons décidé d'être scratchés à la pente en vous coupant. Voilà de quoi faire fumer notre moteur et nous remettre de bonne humeur. Ça transpire, ça souffle, ça tire... Et le tout sans rejet de gaz à effet de serre ! (à quelques émanations digestives près...)
Mais voyant ces troupeaux mécanisés qui s'en vont pâturer par la route de la facilité, je me dis parfois que les enrobés, qu'ils soient humains ou bitumineux, ont encore de très beaux jours devant eux.
Il fut un temps où les hommes avaient une certaine ligne de conduite... Nous vivons dans une bien triste époque mon petit Bibote."
Chapitre 16 : "Le calme avant la tempête"
Étape 45 : "Improvisation"
Départ : Viella - Arrivée : Saint-Savin
Distance : 35,25km - Dénivelé : +1608m/-2001m
"Bibote n'a jamais vraiment aimé préparer les parcours de ses escapades montagnardes. Avant de se lancer dans cette grande aventure, il lui arrivait même de disparaître dans la nature sur un coup de moustache en ne prévoyant absolument... rien. Météo, équipement, nourriture, destination : la totale improvisation ! En général tout était enfin organisé une fois rentré à la maison...
Cette méthode "rigoureuse" lui a permis de vivre moultes péripéties rocambolesques !
Monsieur Bibote d'Haricot est donc tout à son aise depuis qu'il contourne les Pyrénées Aragonaises. Son cahier des charges est très simple : éviter les passages poudreux à plus de 2000 mètres d'altitude, échapper à la noirceur du goudron, se rapprocher de l'océan Atlantique. À part ça ? Rien de plus. C'est déjà beaucoup non ?
Au hasard de mes pas (et de quelques balises ambrées bienvenues), je viens donc d'atterrir dans une charmante bourgade voisine d'Argelès-Gazost.
Et pour demain ? Heu... On verra bien !"
Étape 46 : "Avis de tempête"
Départ : Saint-Savin - Arrivée : Eaux-Bonnes
Distance : 41,80km - Dénivelé : +1884m/-1558m
"L'occasion était trop belle et il n'a pas pu s'en empêcher...
"Quoi ? Le col d'Aubisque est fermé à la circulation ? Alors il sera pour moi tout seul ? Mais c'est génial !!!"
Et c'est reparti pour un tour... Dès que Bibote commence à penser vélo, on ne peut plus rien en faire... En temps normal, il n'aurait pas hésité une seconde pour s'engager sur un sentier rocailleux plutôt que sur une route goudronnée. Mais là... C'est le col d'Aubisque quand-même !!! Faute de roues, quel(s) pied(s) !
Il a un sacré panache ce Bibote. En bon directeur sportif, j'ai pourtant tenté de réguler son ardeur. Mais comment faire rentrer son oreillette dans ma tête ? Alors il n'a fait qu'attaquer sur les pentes du géant Béarnais.
La foule s'éprit ! "ALLEZ BIBOTE !!!"
La route écrit ! "ALLEZ BIBOTE !!!
Mon visage s'éblouit !
Bâtons pointés vers le ciel, j'atteins le sommet en solitaire ! Une ligne d'arrivée ? Non... Juste une barrière : "col fermé à la circulation". Pas de podium, pas de bisous et pas d'interview. Mais il suffit d'un peu d'imagination pour se sentir champion.
Inspiration ou pas, j'ai bien senti quelque chose au sommet de l'Aubisque. C'est d'ailleurs le pire ennemi des cyclistes...
Tantôt cadeau gazeux que l'on respire, tantôt mur invisible qui nous résiste : l'air. Mais seul il ne peut rien faire. La vitesse est son alliée perfide : elle transforme ce doux mélange moléculaire en impénétrable barrière.
Et à partir de demain ce n'est pas ma vitesse de tortue qui posera problème. La montagne me fait une nouvelle suprise : la tempête Barbara ! Décidément... Ce voyage retour va finir par me faire cocher toutes les cases de ma liste des catastrophes naturelles...
Puisque c'est comme ça, je continue ma tournée des cols mythiques ! Au lieu de m'aventurer en haute altitude, direction le col de Marie Blanque.
La prochaine fois que je partirai à l'aventure j'accrocherai un vélo à mon porte-bagages..."
Étape 47 : "Le coût de la panne"
Départ : Eaux-Bonnes - Arrivée : Bedous
Distance : 44,67km - Dénivelé : +1003m/-1263m
"Le changement de vallée au menu de cette étape n'avait pas grand chose d'inquiétant pour Bibote. Si ce n'est l'ombre ventée de Barbara qui s'est finalement faite attendre jusqu'en début de soirée.
Peu de dénivelé, pas de passages techniques, une température agréable et une brise vivifiante : voilà de quoi passer une journée très tranquille. Mais le magnifique plateau du Bénou n'y a eu aucun effet : Bibote est sans énergie. Rien de rien...
La force de l'esprit pour prendre le relais ? Même pas. Je suis complètement vidé : ma tête veut mais mes jambes non. Et chaque foulée me le rappelle... Peut-être faut-il que je mange ? Aucun effet. Que je boive ? Même résultat. Que je fasse des pauses ? Nada. Alors tant pis... Même si ce corps n'a plus rien à me donner, il faut bien avancer car Barbara finira forcément par pointer le bout de son nez.
Le taxi de ma folie vient donc de tomber en panne et il va falloir pousser. Cette panne aura un coût : celui de la douleur. Ce tendon d'Achille encore et toujours... La pièce commence vraiment à être usée. J'espère que quelques petits soins d'entretien et une nuit réparatrice dans un joli garage sur les hauteurs de Bedous lui feront du bien.
En attendant la facture, je vais tenter de m'endormir pour souffler un peu. Mais la promise Barbara vient de se réveiller... Et elle souffle (très) fort !"
Chapitre 17 : "Dernière ligne droite"
Étape 48 : "Barbara"
Départ : Bedous - Arrivée : La Pierre Saint-Martin
Distance : 27,39km - Dénivelé : +1967m/-795m
"J'ai donc attendu que madame s'en aille pour enfin démarrer ma journée. La terreur nocturne Barbara aura laissé derrière elle un spectacle de désolation dans la forêt Aspoise. Autant d'obstacles déracinés ou brisés sur un chemin me menant tout droit vers le cirque de Lescun.
Ça y'est ! Il s'était enseveli dans un épais brouillard il y a quelques semaines mais sa cachette a elle aussi été emportée par la tempête. Quel spectacle ! Les rafales retardataires charrient des wagons de nuages transpercés ici et là par les rayons d'un soleil que même le plus puissant des ouragans ne pourrait déplacer. La piste verte orangée du cirque et ses hautes tribunes minérales sont sublimées par ces projecteurs naturels.
Évidemment tout ça ne va pas durer car Barbara n'a pas dit son dernier mot... Voilà son souffle qui à nouveau s'intensifie sur les sommets.
Vite, il faut trouver un abri pour la nuit ! Je n'ai plus rien à boire mais il vaut mieux une gorge sèche qu'un tronc sur la casquette. Cette petite cabane en bois près de la station fantôme de la Pierre Saint-Martin fera l'affaire.
Au fil de ces phrases le vent forcit... Battu par les violentes bourrasques, mon refuge de fortune se met à grincer, vibrer, craquer ! Je tente (heureusement que je ne l'ai pas plantée...) de me rassurer en me disant qu'au contraire de nombreux arbres centenaires il est resté debout la nuit dernière. Alors pourquoi pas une de plus ?
Je crois qu'il me sera encore une fois très difficile de fermer l'œil... Le roseau plie mais ne rompt pas ? C'est ce qu'on verra.
Une épreuve supplémentaire pour pimenter ce voyage retour ! Décidément, la montagne ne m'aura rien épargné depuis quelques jours...
Une chose est sûre : Barbara ou pas, la moustache de Bibote ne finira jamais en travers de la route si près du but."
Étape 49 : "De France et de Navarre"
Départ : La Pierre Saint-Martin - Arrivée : Isaba
Distance : 31,34km - Dénivelé : +567m/-1394m
"L'Aragon, la neige et Barbara derrière moi, il était enfin l'heure de franchir la frontière pour retrouver les sentiers du GR11.
Retour en Espagne ! Non, au Pays Basque pardon... Après m'être attiré les foudres de Dame Nature, autant éviter de me mettre à dos la population locale.
Mais justement, où sont passés les êtres humains ?
Dans la montagne ? Personne. Sur les sentiers forestiers ? Toujours rien. Dans le village d'Isaba pour fêter mon arrivée ? Pas un chat...
Cette absence n'est pas pour me déplaire car me passer de la compagnie humanoïde devient de plus en plus agréable. Je me pose cependant quelques questions... Si ce petit patelin Navarrais avait été contaminé par un virus mutant ? Si tous ses habitants s'étaient transformés en morts-vivants ?
Et bien justement c'est exactement ce qu'il s'est passé ! La Navarre est dévastée par le "terrrible vous savez quoi". Les commerces sont fermés et les gens barricadés derrière leurs murs et leur masque.
Quand ils vous croisent, les autochtones vous toisent de haut en bas. Dans cette contrée c'est chose assez courante... Mais cette fois c'est très différent ! Le "Il vient d'où celui-là ?" paraît avoir été remplacé par un non moins inquiétant "Il vient d'où celui-là ?".
Qu'est-ce que tu racontes Bibote ??? C'est vraiment du grand n'importe quoi...
Pourtant Bibote a raison et c'est bien là le problème... Les mots sont les mêmes mais les regards sont différents. Je préfèrerais qu'on me voit comme un étranger plutôt qu'un agent contaminant !
Sans ce fléau, je me serais posé des questions sur mon hygiène. Mais nous sommes tous masqués et (comme beaucoup) je m'interroge plutôt sur mon haleine... Bibote, on marche de plus en plus sur la tête ! Et quand il s'agit de marcher, l'avis d'un randonneur est tout aussi important que celui d'un grand docteur.
Il y a quelques siècles, Henri 4 devenait Roi de France et de Navarre. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'un certain Covid 19 l'a détrôné.
Comment a-t-il fait ? En faisant croire..."
Étape 50 : "La tête et les jambes"
Départ : Isaba - Arrivée : Auritz
Distance : 60,52km - Dénivelé : +2487m/-2451m
"J'avais prévu de faire une pause... Mais il en a décidé autrement ! Le corps est vraiment une machine extraordinaire.
Cet hôte de chair et d'os, je le nourris, le nettoie, le soigne, le couvre... Et pourtant, j'ai l'impression d'être devenu son invité.
Comme par magie, la douleur qui tiraillait mon tendon d'Achille a disparu et mes jambes n'ont plus qu'une idée en tête : marcher.
Alors que faire ? Brider ce corps après l'avoir forcé ? Allez, tant pis pour la détente... Tu veux marcher, eh bien on va marcher ! Et jusque tard dans la nuit si tu en as envie.
Les devoirs, les ordres, les conseils : tous les nœuds des cordes qui l'entravaient peu à peu se démêlent. Après ces centaines de kilomètres, mon corps est en train d'atteindre son potentiel. Et demain qu'en sera-t-il ? En fera-t-il plus ou moins ?
Une chose est certaine : les jambes de Bibote ont décidé de traverser le Pays Basque beaucoup plus vite que ne l'avait prévu sa tête."
Chapitre 18 : "Tout ça pour ça"
Étape 51 : "L'autre côté"
Départ : Auritz - Arrivée : Col de Lizarrieta
Distance : 60,09km - Dénivelé : +2468m/-2835m
"Il y a les ambitieux qui voudront aller plus haut ; les rêveurs, toucher les étoiles ; les sportifs, se dessiner mollets et cuisses ; les aventuriers, explorer de nouvelles contrées ; les feignants... Heu... Non, pas les feignants en fait !
Apprécier la montagne se décline à l'infini. Au fil de son avancée, Bibote aura compris qu'il l'aimait comme un enfant. Un enfant moustachu ??? Oui, un grand bébé à moustache gourmand de dévorer ce qu'il n'avait encore jamais vu.
Monter, monter et monter vers tous ces cols et ces sommets. Pourquoi monter ? Juste par curiosité. Pour enfin découvrir ce qu'il se cache de l'autre côté.
Autre côté après autre côté, Bibote a une nouvelle fois avalé les kilomètres de la verdoyante douceur Navarraise en ce samedi ensoleillé. Malheureusement il n'y en aura bientôt plus... Si ce n'est celui de l'Atlantique...
Alors... Alors il faut savourer."
Étape 52 : "Clap de fin"
Départ : Col de Lizarrieta - Arrivée : Hendaye
Distance : 26,41km - Dénivelé : +933m/-1391m
"S'il y a bien une expression que Bibote et moi détestons c'est la fameuse : "Je ne réalise pas encore".
Vous savez, cette espèce de porte de sortie toute réchauffée couramment usitée dans le monde médiatico-sportif.
Roooh... Qu'elle est nulle cette phrase !
Ne vous inquiétez pas : Bibote réalise bien qu'il vient d'arriver à Hendaye !!! (sous des trombes d'eau évidemment)
Mais c'est dimanche et il mange une crêpe en savourant une succulente boisson fraîche cacaotée made in France. Miam !!!
La conclusion de cette petite grande aventure arrivera donc demain..."
"Épilogue"
Départ : Hendaye - Arrivée : Quelque part sur une dune
"Et voilà...
55 jours, presque 2000 kilomètres, environ 100 000 mètres de dénivelé, 3 paires de chaussures, 2 paires de bâtons, des dizaines de boîtes de sardines, des kilos de fruits secs et de chocolat noir, des litres et des litres d'eau (ou d'un célèbre breuvage américain)... Tous ces chiffres me tourneront longtemps dans la tête.
Qu'en restera-t-il ? Pas grand chose et beaucoup à la fois : des souvenirs en récompense de cette odyssée aussi inutile que nécessaire.
Tout n'a pas été facile... Loin de là. Exaltation, désillusion, plaisir, souffrance, larmes, joie... Mais tout doit-il être facile ? Comment apprécier ce petit rayon de soleil s'il n'y a pas eu averse ? Comment ressentir cette fine brise s'il n'y a pas eu fournaise ? Manger parce qu'on a faim, se laver parce qu'on est sale, boire parce qu'on a soif... Voilà pourquoi Bibote et moi avons décidé de nous précipiter à moustache perdue dans cette aventure. La montagne a le don très particulier de vous faire comprendre que le rien peut être abondance et que le trop peut être vide.
Finalement, au dessus de cette mer de nuages, votre esprit est en paix, vos sens sont en éveil. Vous êtes seul maître de votre navire. Une seconde, une respiration, un moment...
Il faut maintenant réouvrir les yeux. Au "niveau 0" l'océan du réel est tempétueux. Cette longue balade en altitude m'aura-t-elle rendu les pieds assez marins pour réussir à l'affronter ? J'en doute... Il faudra probablement repartir sans faire de vagues.
Un voyage se termine et un nouveau démarre. Où me mènera-t-il ? Loin d'ici, cette agitation, ce superflu. Et aussi très loin de ce compte Instagram. Bibote tire donc sa révérence et vous salue.
Est-ce définitif ? Sûrement pas : un aller a toujours son retour ! Mais il faut savoir prendre un peu de repos avant de retracer sa route.
La montagne, l'océan, le désert, la jungle... Des kilomètres de vie en prose à bâtons rompus !
Quoi ??? Une suite dans quelques mois ??? Peut-être... Bibote a encore plein d'idées farfelues sous la casquette !
Alors un grand merci pour tout votre soutien et préparez vos balises !"